mercredi 25 mars 2015

LA n°2: Nana, Zola



Nana est le neuvième roman écrit par le célèbre naturaliste Zola du cycle des Rougon-Macquart. Ce roman est publié en 1880 et raconte l’histoire d’une prostituée, Nana, tout en peignant la société du Second Empire. Cet extrait du chapitre VII présente un portrait de Nana mais également une scène érotique. Le spectacle de Nana dansant une danse du ventre se déroule sous le regard de Nana qui s’admire, mais aussi sous celui de Muffat fasciné et enfin du lecteur. En quoi Nana correspond-elle à la figure de la femme fatale ? Nous verrons d’abord que Nana apparaît comme une femme-enfant narcissique. Puis nous découvrirons son pouvoir d’envoûtement maléfique. Enfin, c’est avec singularité que Zola nous présente une scène tout autant symbolique que réaliste.


Dans ce texte, Nana apparaît comme une femme-enfant narcissique mais le lecteur découvre aussi  l’aspect vicieux de ce personnage.
Tout d’abord, Nana se sait observée par son amant et se livre à une auto-contemplation méthodique tout au long du texte. Le personnage féminin semble en effet ici  s’admirer comme Narcisse le faisait dans le mythe. Le miroir paraît ravir sa propre personne, c’est devant lui qu’elle se livre à une danse du ventre qui devient un spectacle pour elle plus que pour Muffat. On peut noter l’évolution de cette contemplation dans les exemples suivants :  « Nana s’était absorbée dans son ravissement d’elle-même », « regardant avec attention dans la glace un petit signe brun », « elle étudia d’autres parties de son corps », « s’examinant de dos et de face ». Les verbes utilisés font tous écho à la considération que le personnage se porte. Cet effet est accentué par des verbes pronominaux qui soulignent une action réfléchie et donc son auto-centrisme. Par ailleurs, le « ravissement d’elle-même » peut rappeler Narcisse prisonnier et victime de sa propre image.
Mais à travers la considération que Nana se porte, le lecteur remarque également une enfant qui découvre son corps. C’est d’abord l’exploration du corps qui est mentionnée avec « la reprise des curiosités vicieuses d’enfant », « l’air étonné d’une jeune fille qui découvre sa puberté », puis le spectacle se transforme en un véritable jeu. En effet, le narrateur met en valeur cet aspect : « le singulier jeu de se balancer », « drôle », « amusée », « rire amoureux », « en riant à l’autre Nana ». Le lexique du jeu et de l’amusement rappelle tout au long du texte que Nana est une femme-enfant.
Toutefois si l’enfant se démarque traditionnellement de l’adulte par sa naïveté et son innocence, Nana apparaît ici plutôt vicieuse, perverse. L’enfance est pervertie par la mise en scène érotique et volontaire de ce jeu, qui est avant tout « un plaisir solitaire » devant le regard d’un homme. Elle développe « son torse de Vénus », « dansant la danse du ventre », « la taille roulant sur les reins » et « elle renversait la tête ». Les actions révèlent une Nana qui  se montre et suscite volontairement le désir charnel de Muffat sans oublier le sien. Le lexique corporel accentue l’érotisme de la scène. Cependant, c’est avant tout pour son propre plaisir qu’elle vise. La fin du texte marque la réussite de cet objectif : « un frisson de tendresse semblait avoir passé », « les yeux mouillés », « mieux se sentir », « les seins […] qu’elle écrasa d’une étreinte nerveuse », « caresse de tout son corps » et enfin « Sa bouche goulue soufflait sur elle le désir ». Le narrateur, sous le regard de Muffat, décrit toutes les manifestations du plaisir et de la jouissance presque incontrôlable et nerveuse.
Nana, en tant que femme-enfant, garde cet aspect pervers qui annonce d’emblée son pouvoir d’envoûtement maléfique. Le personnage est placé sous l’ambiguïté et le mystère.



Nana apparaît comme une vision maléfique dans le texte. En effet, elle devient le « monstre de l’Ecriture », « l’animal [qui] reparut au fond des ténèbres », « terrible ». Elle représente alors le « mal ». Les périphrases monstrueuses et le vocabulaire maléfique la présentent d’emblée comme une femme mystérieuse qui inquiète. En effet, Nana suscite la peur de Muffat. On peut le constater dans les exemples suivants : « elle lui faisait peur », « il eut un instant conscience des accidents du mal ». Après son charme et sa danse érotique, Nana est désormais inquiétante, terrifiante même. On retrouve alors la figure de la femme fatale.
Par conséquent, on note l’impossibilité, pour cet homme, de se détourner de Nana, véritable œuvre d’art contemplée. Le  pouvoir de séduction de cette femme est bien réel et a un fort impact. Muffat est « obsédé, possédé ». Les deux participes se font écho et paraissent résonner. Cet impact est de plus en plus fort, d’abord on voit la perte de contrôle des gestes quand « le journal était tombé de ses mains », puis « tout fut emporté en lui, comme par un grand vent ». Cette dernière image accentue l’intensité de cet envoûtement. Le personnage masculin finit par être sous emprise pulsionnelle, il perd tout contrôle rationnel de lui-même, définitivement. La femme fatale fait ressortir en lui des forces obscures, brutales, bestiales. Ses pulsions arrivent « brusquement » pour finalement prendre « Nana à bras le corps, dans un élan de brutalité » pour « la jet[er] sur le tapis ». La violence de cette phrase permet ici   d’assimiler cet acte à un viol.
                Le portrait de Nana est un véritable spectacle se déroulant sous le regard de Muffat, envoûté. Le point de vue interne donne l’impression au lecteur de vivre la scène à travers un regard fasciné, celui de Muffat subjugué comme le soulignent les expressions suivantes : « il leva les yeux », « il la contempla », « ne pouvant détourner les yeux, il la regardait fixement », « regardait toujours ». L’importance du regard souligne le charme exercé par Nana sur l’homme, un charme qui ensorcellerait presque à travers à simple regard.     Muffat se retrouve aliéné entre le désir (« gâté jusqu’aux moelles »), l’admiration (« son torse de  Vénus ») et le dégoût (« il la savait stupide, ordurière, menteuse »). Coexistent dans le texte description méliorative et description péjorative soulignant le paradoxe de notre personnage masculin face à la femme fatale. Mais c’est aussi de là que naît la fascination inexplicable, provenant d’un charme (dans le sens de carmen). Mais c’est avant tout à son propre dégoût que cela le renvoie puisqu’ « il se méprisait », « tout allait pourrir en lui », « lui empoisonné et sa famille détruite ». Nous sommes dans les pensées de Muffat qui analyse directement les conséquences de ce charme fatal, fatal ici car terrible.



Cet extrait est marquée par une écriture tout autant imagée que symbolique mais dont le but est bien de représenter, mettre en valeur une réalité du XIXe siècle.
Le regard de Muffat métamorphose Nana en une véritable créature mythologique. Ce qui donne au texte une dimension presque fantastique. En effet, le narrateur, à travers les yeux de Muffat, décrit Nana de telle sorte : « son chignon de cheveux jaunes dénoué lui couvrait le dos d’un poil de lionne. Ployée et le flanc tendu, elle montrait les reins solides, la gorge dure d’une guerrière », « il y avait de la bête ». Nous pouvons remarquer au début la naissance d’une créature bestiale. Le duvet et les cheveux de Nana sont transformés en poils de lion, animal qui plus est fort comme le signalent les adjectifs « solides », « dure », « tendu ». Peu à peu cet animal devient un monstre mythologique puisque  « c’était la bête d’or, inconsciente comme une force », « l’animal reparut au fond des ténèbres, grandi, terrible », le « monstre de l’Écriture, lubrique, sentant le fauve ». En effet la créature s’empreint maintenant de pouvoirs dangereux et fatals. Ce glissement est même accentué par l’accumulation marquant la réapparition encore une fois métamorphosée : « au fond des ténèbres, grandi, terrible ».
Cette vision donne un caractère symbolique au personnage. Si Nana représente la femme fatale, elle devient ici le symbole de la tentation et de la corruption. Cette force obscure prend possession des hommes en les tentant comme l’indiquent les exemples suivants « maintenant, il serait là, devant ses yeux, dans sa chair, à jamais ». La créature a pris possession de Muffat, s’est ancré en lui, dans son corps. L’adverbe « maintenant » marque bien le changement, un changement fatal pour lequel il ne peut plus rien puisque c’est « à jamais ». Désormais le personnage sera «  obsédé, possédé », bien qu’il fasse tout « pour ne plus voir ».Alors Nana incarne cette tentation et symbolise une corruption pesant sur toute la société, celle de la décadence.
                En effet, Zola veut décrire dans son œuvre littéraire la réalité du Second Empire. Le portrait de Nana devient donc le miroir d’une société qui subit, au XIXe siècle, la décadence et la corruption bouleversant les mœurs et les mentalités. Premièrement, le narrateur n’hésite pas à marquer les méfaits et de la sexualité en affirmant que « Muffat avait conscience de sa défaite, il la savait stupide, ordurière et menteuse, et il la voulait, même empoisonnée ». La vision péjorative de la femme est évidente mais notons également son effet sur Muffat qui désormais voudra la posséder coûte que coûte : la chute de la phrase accentue le pouvoir néfaste de la femme aux mœurs libérées. Si « en trois mois, elle avait corrompu sa vie, il se sentait déjà gâté jusqu’aux moelles par des ordures qu’il n’aurait pas soupçonnées », « tout allait pourrir en lui ». Le vocabulaire de l’empoisonnement et de la putréfaction accentue la dégradation d’un homme. Mais le texte prend alors une portée universelle en révélant que l’Homme est soumis à des pulsions, des passions. La femme exerçant un pouvoir sexuel ramène alors l’homme face à ces forces obscures.





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