dimanche 7 juin 2015

LA n°10: Huis clos, Sartre



Sartre, Huis clos, scène 5 de « Qu’est-ce que vous avez ? » (p.44)  à « tu me diras : tu » (p.48)
Comment cette scène du miroir révèle-t-elle des rapports de force infernaux ?

Caractérisation et situation de la scène : Si précédemment Garcin et Estelle paraissaient liés face à Ines seule, c’est désormais Garcin qui reste seul. Les trois personnages ont fait un pacte : chacun reste chez lui (chacun son canapé) et personne ne s’adresse la parole. De cette manière, personne ne sera le bourreau de personne, ils fuient la réalité pour ne pas souffrir. Mais Estelle rompt le silence pour manifester son envie de se regarder dans un miroir. Débute alors une scène de séduction : en effet Inès séduit Estelle qui tente de séduire Garcin è Scène dynamique, enchaînement rapide, rapports de force.
è Estelle, un personnage qui vit dans le paraître : découverte d’un personnage superficiel. La situation nous révèle cette superficialité.
-           Elle rompt le pacte de silence pour exprimer son désarroi sans miroir : « quand je ne me vois pas […] je me demande si j’existe ». En effet juste avant une didascalie nous indique qu’E a manqué de s’évanouir.
-          Le miroir fait l’objet ensuite d’un long récit : E insiste sur les « grandes glaces » qu’il y avait chez elle et le vocabulaire de la vue semble envahir le récit (verbes  voir regarder refléter répétés). L’obsession est marquée par la répétition immédiate de la phrase « Je les vois. Je les vois. ». Cette obsession est accentuée par la personnification de l’objet « elles ne me voient pas » qui montre l’importance qu’E donne au miroir.
-          La seule préoccupation d’E en enfer est son rouge à lèvre. La chute du récit est marquée par la didascalie Avec désespoir introduisant l’exclamation « Mon Rouge ! ». On note un réel contraste entre les deux, rappelé par le pléonasme « toute l’éternité » marquant le terrible malheur d’E.
C// E. vit dans le paraître
è L’obsession du miroir : le miroir est pour Estelle un objet rassurant et surtout un besoin dans son existence.
-          Un besoin
o   Le besoin de se regarder que manifeste E dans cette scène nous montre surtout le besoin qu’elle a d’être regardée (c’est le regard d’autrui qui importe) : E. interpelle les deux autres personnages dans le but d’être regardée (« Est-ce que j’ai bien mis mon rouge ? » à Inès « Monsieur nous ne vous ennuyons pas trop ? » à Garcin) et manifeste l’importance de leur regard en affirmant « heureusement que personne ne m’a vue » (adverbe en décalage avec l’enfer…)
o   Estelle veut paraître ce qu’elle souhaite. Son image est une obsession : « aussi bien que », « c’est bien », « tu me jures que c’est bien ? », « mais vous avez du goût ? » (répétition)
o   Un objet rassurant car elle peut choisir son image, la déformer, l’améliorer : « mon image … apprivoisée », « je la connaissais si bien ». L’image est personnifiée // Narcisse.
-          Le doute de l’existence :
o   Ce besoin devient vital « je me demande si j’existe pour de vrai. »
o   Sans se voir, elle doute de son existence, d’où le vocabulaire de l’absence, de la perte (« vide », « sans », négations aux répliques 2 et 4, restrictions « ne plus ») et la perte de conscience sans miroir (« si vague », « ça m’endort », « Un temps » = elle semble peu à peu s’effacer, perdre conscience d’elle-même.
C// L’image qu’E se donne ne lui correspond pas, à elle-même. Le paraître et l’image ne sont pas preuves d’existence
è Le miroir, un objet absent qui anime un triangle infernal : les rapports de force se dessinent (traditionnellement triangle amoureux mais ici, triangle infernal)
-          Estelle veut le regard d’un homme : Garcin mais celui-là s’en moque : « Indique Garcin », « se tourne vers Garcin », « Monsieur ! Monsieur ! », « elle jette un coup d’œil à G. ». La gestuelle nous indique bien une tentative de séduire Garcin mais celui-ci « ne répond pas ».
-          Inès devient alors volontairement objet pour séduire Estelle, commence une scène de séduction. Inès a le pouvoir sur E. qui obéit.
o   Elle séduit : elle l’invite (« Venez, je vous invite chez moi »), la rassure « est-ce que j’ai l’air de vouloir vous faire du mal ? », se l’accapare « Ne nous occupons pas de lui », tente de s’en rapprocher « puisqu’il faut souffrir, autant que ce soit par toi », « Approche-toi. Encore », « nous sommes seules », « tu ne veux pas qu’on se tutoie », et la flatte « Tu es belle », « c’est mieux ».
o   Pour cela, elle se réduit à l’état d’objet: « Voulez-vous que je vous serve de miroir ? » (utilité), « Aucun miroir ne sera plus fidèle », « Interroge-moi ».
-          Inès est rejetée et chosifiée par Estelle : pendant qu’I. la séduit, E. se préoccupe de G., essaie de fuir (« comme pour appeler à l’aide »). Mais finalement, le rejet est visible dans l’utilité qu’a E. d’I. Inès n’est qu’un miroir : « Est-ce que j’ai bien mis mon rouge ? », « Aussi bien que tout à l’heure ? », « Et c’est bien ? », « Tu me jures ? ». C’est aux répliques de séduction, qu’Estelle répond par ces interrogations => l’enchaînement des répliques n’est pas logique.
-          Inès se venge alors en voulant posséder Estelle, pour cela elle déforme son image, la juge, la transforme. Comme Estelle ne vit que pour son image, c’est bien tout son être qu’elle pense déformé :
o   Déforme : « C’est mieux, Plus lourd. Plus cruel. Ta bouche d’enfer. » Inès a transformé Estelle à son goût, les adverbes accentués par la répétition montrent bien la différence, la déformation. « Lourd », « cruel » et « enfer » ne sont pas des mots correspondant à Estelle.
o   Juge : « Fais voir. Pas trop bien ».
o   Se venge avec du chantage ou en suscitant la souffrance :
§  Quand Estelle refuse de tutoyer Inès, cette dernière se venge « Une plaque rouge ?» => Estelle réagit violemment sursautant « Quelle horreur ! » => « Il n’y a pas de rougeur »
§  S’en suit la menace : « Je suis le miroir aux alouettes », « je te tiens », « si le miroir se mettait à mentir ? », « il faut que je te regarde mais tu me diras : tu. »
è L’autre, un miroir = situation qui représente une partie de la théorie existentialiste
-          Le regard de l’autre nous fait douter, nous déstabilise car il déforme, renvoie une image négative (« pas trop bien »), juge. Son jugement ne correspond pas forcément à ce que l’on veut être (pour ceux qui vivent dans le déni, la mauvaise foi ou le paraître comme Estelle) ou à ce que l’on est (lorsque c’est l’autre qui est de mauvaise foi « Plaque rouge »).
-          La liberté de l’autre peut effrayer ou être un danger : effrayer car on ne peut pas modifier l’image renvoyée (« Ta bouche d’enfer ») et être un danger car il peut nous posséder (« Tu es mon alouette ») ou tenter de nous altérer (« plaque rouge »).
-          Se connaître par l’autre : l’autre est un besoin car il permet de mieux se connaître. Nos réactions, nos émotions, nos sentiments naissent dans le rapport à autrui. C’est l’autre qui nous renvoie une image de nous-même. Estelle se découvre « fascinée » par Inès, retrouve ses émotions naturelles grâce à elle « vivement », découvre son attirance pour Garcin « jette un regard à G ».
-          L’autre nous prouve aussi notre existence. Estelle ne se sentait plus comme conscience, ne se sentait plus existée sans miroir ni regard de l’autre, mais c’est dans le rapport à Inès, qu’elle retrouve sa pleine conscience, cela se voit dans ses émotions (elle n’est plus vide) : didascalies fascinée, vivement…

A remarquer selon les questions :
-          Toutes les répétitions d’Estelle marquant ses émotions, son obsession
-          L’enchaînement des répliques : ou elles ne se répondent pas au niveau du sens (= « I : Tu ne veux pas qu’on se tutoie » E : « Tu me jures que c’est bien ? » = Inès ou Estelle prend le pouvoir sur l’autre) ou se répondent parfaitement (= enchaînement linguistique = «I : une plaque rouge E : « une plaque rouge ? » = Estelle et Inès retrouvent un ordre, un rapport un peu plus saint)

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