Nana est le neuvième roman écrit par le célèbre
naturaliste Zola du cycle des Rougon-Macquart. Ce roman est publié en 1880 et
raconte l’histoire d’une prostituée, Nana, tout en peignant la société du
Second Empire. Cet extrait du chapitre VII présente un portrait de Nana mais
également une scène érotique. Le spectacle de Nana dansant une danse du ventre
se déroule sous le regard de Nana qui s’admire, mais aussi sous celui de Muffat
fasciné et enfin du lecteur. En quoi Nana correspond-elle à la figure de la
femme fatale ? Nous verrons d’abord que Nana apparaît comme une femme-enfant
narcissique. Puis nous découvrirons son pouvoir d’envoûtement maléfique. Enfin,
c’est avec singularité que Zola nous présente une scène tout autant symbolique
que réaliste.
Dans ce texte,
Nana apparaît comme une femme-enfant narcissique mais le lecteur découvre
aussi l’aspect vicieux de ce personnage.
Tout d’abord, Nana se sait observée par son
amant et se livre à une auto-contemplation méthodique tout au long du texte. Le
personnage féminin semble en effet ici
s’admirer comme Narcisse le faisait dans le mythe. Le miroir paraît
ravir sa propre personne, c’est devant lui qu’elle se livre à une danse du
ventre qui devient un spectacle pour elle plus que pour Muffat. On peut noter l’évolution
de cette contemplation dans les exemples suivants : « Nana
s’était absorbée dans son ravissement d’elle-même »,
« regardant avec attention dans la glace un petit signe brun »,
« elle étudia d’autres parties de son corps »,
« s’examinant de dos et de face ». Les verbes utilisés font tous
écho à la considération que le personnage se porte. Cet effet est accentué par
des verbes pronominaux qui soulignent une action réfléchie et donc son
auto-centrisme. Par ailleurs, le « ravissement d’elle-même » peut
rappeler Narcisse prisonnier et victime de sa propre image.
Mais
à travers la considération que Nana se porte, le lecteur remarque également une
enfant qui découvre son corps. C’est d’abord l’exploration du corps qui
est mentionnée
avec « la reprise des curiosités
vicieuses d’enfant », « l’air étonné d’une jeune fille qui découvre
sa puberté », puis le spectacle
se transforme en un véritable jeu. En effet, le narrateur met en valeur cet
aspect : « le singulier jeu
de se balancer », « drôle », « amusée », « rire
amoureux », « en riant à l’autre Nana ». Le lexique du
jeu et de l’amusement rappelle tout au long du texte que Nana est une
femme-enfant.
Toutefois
si l’enfant se démarque traditionnellement de l’adulte par sa naïveté et son
innocence, Nana apparaît ici plutôt vicieuse, perverse. L’enfance est pervertie
par la mise en scène érotique et volontaire de ce jeu, qui est avant tout
« un plaisir solitaire » devant le regard d’un homme. Elle développe « son torse de Vénus », « dansant la
danse du ventre », « la taille roulant sur les reins » et
« elle renversait la tête ». Les actions révèlent une
Nana qui se montre et suscite
volontairement le désir charnel de Muffat sans oublier le sien. Le lexique
corporel accentue l’érotisme de la scène. Cependant, c’est avant tout pour son propre plaisir qu’elle vise. La
fin du texte marque la réussite de cet objectif : « un frisson de tendresse semblait avoir passé », « les
yeux mouillés », « mieux se sentir », « les seins […]
qu’elle écrasa d’une étreinte nerveuse », « caresse de tout son
corps » et enfin « Sa bouche goulue soufflait sur
elle le désir ». Le narrateur, sous le regard de
Muffat, décrit toutes les manifestations du plaisir et de la jouissance presque
incontrôlable et nerveuse.
Nana, en tant que femme-enfant, garde cet aspect pervers qui
annonce d’emblée son pouvoir d’envoûtement maléfique. Le personnage est placé
sous l’ambiguïté et le mystère.
Nana apparaît comme une vision
maléfique dans le texte. En effet, elle devient le « monstre de
l’Ecriture », « l’animal [qui] reparut au fond des ténèbres »,
« terrible ». Elle représente alors le « mal ». Les
périphrases monstrueuses et le vocabulaire maléfique la présentent d’emblée
comme une femme mystérieuse qui inquiète. En effet, Nana suscite la peur de
Muffat. On peut le constater dans les exemples suivants : « elle lui
faisait peur », « il eut un instant conscience des accidents du
mal ». Après son charme et sa danse érotique, Nana est désormais
inquiétante, terrifiante même. On retrouve alors la figure de la femme fatale.
Par conséquent, on note
l’impossibilité, pour cet homme, de se détourner de Nana, véritable œuvre d’art
contemplée. Le pouvoir de séduction de
cette femme est bien réel et a un fort impact. Muffat est « obsédé,
possédé ». Les deux participes se font écho et paraissent résonner. Cet
impact est de plus en plus fort, d’abord on voit la perte de contrôle des
gestes quand « le journal était tombé de ses mains », puis
« tout fut emporté en lui, comme par un grand vent ». Cette dernière image
accentue l’intensité de cet envoûtement. Le personnage masculin finit par être
sous emprise pulsionnelle, il perd tout contrôle rationnel de lui-même,
définitivement. La femme fatale fait ressortir en lui des forces obscures,
brutales, bestiales. Ses pulsions arrivent « brusquement » pour finalement
prendre « Nana à bras le corps, dans un élan de brutalité » pour
« la jet[er] sur le tapis ». La violence de cette phrase permet
ici d’assimiler cet acte à un viol.
Le
portrait de Nana est un véritable spectacle se déroulant sous le regard de Muffat,
envoûté. Le point de vue interne donne l’impression au lecteur de vivre la
scène à travers un regard fasciné, celui de Muffat subjugué comme le soulignent
les expressions suivantes : « il
leva les yeux », « il la contempla », « ne pouvant
détourner les yeux, il la regardait fixement », « regardait
toujours ». L’importance du regard souligne le charme exercé par Nana sur
l’homme, un charme qui ensorcellerait presque à travers à simple regard. Muffat se retrouve aliéné entre le désir
(« gâté jusqu’aux moelles »), l’admiration (« son torse de Vénus ») et le dégoût (« il la
savait stupide, ordurière, menteuse »). Coexistent dans le texte
description méliorative et description péjorative soulignant le paradoxe de
notre personnage masculin face à la femme fatale. Mais c’est aussi de là que
naît la fascination inexplicable, provenant d’un charme (dans le sens de carmen). Mais c’est avant tout à son
propre dégoût que cela le renvoie puisqu’ « il se méprisait »,
« tout allait pourrir en lui », « lui empoisonné et sa famille
détruite ». Nous sommes dans les pensées de Muffat qui analyse directement
les conséquences de ce charme fatal, fatal ici car terrible.
Cet extrait
est marquée par une écriture tout autant imagée que symbolique mais dont le but
est bien de représenter, mettre en valeur une réalité du XIXe siècle.
Le regard de
Muffat métamorphose Nana en une véritable créature mythologique. Ce qui donne
au texte une dimension presque fantastique. En effet, le narrateur, à travers
les yeux de Muffat, décrit Nana de telle sorte : « son chignon
de cheveux jaunes dénoué lui couvrait le dos d’un poil de lionne. Ployée et le
flanc tendu, elle montrait les reins solides, la gorge dure d’une guerrière »,
« il y avait de la bête ». Nous
pouvons remarquer au début la naissance d’une créature bestiale. Le duvet et
les cheveux de Nana sont transformés en poils de lion, animal qui plus est fort
comme le signalent les adjectifs « solides », « dure »,
« tendu ». Peu à peu cet animal devient un monstre
mythologique puisque « c’était
la bête d’or, inconsciente comme une force », « l’animal reparut au
fond des ténèbres, grandi, terrible », le « monstre de l’Écriture,
lubrique, sentant le fauve ». En
effet la créature s’empreint maintenant de pouvoirs dangereux et fatals. Ce
glissement est même accentué par l’accumulation marquant la réapparition encore
une fois métamorphosée : « au fond des ténèbres, grandi,
terrible ».
Cette vision
donne un caractère symbolique au personnage. Si Nana représente la femme
fatale, elle devient ici le symbole de la tentation et de la corruption. Cette
force obscure prend possession des hommes en les tentant comme l’indiquent
les exemples suivants « maintenant, il serait là, devant ses yeux,
dans sa chair, à jamais ». La
créature a pris possession de Muffat, s’est ancré en lui, dans son corps. L’adverbe
« maintenant » marque bien le changement, un changement fatal
pour lequel il ne peut plus rien puisque c’est « à jamais ».
Désormais le personnage sera « obsédé, possédé », bien qu’il fasse
tout « pour ne plus voir ».Alors Nana incarne cette tentation et
symbolise une corruption pesant sur toute la société, celle de la décadence.
En effet, Zola veut décrire dans
son œuvre littéraire la réalité du Second Empire. Le portrait de Nana devient
donc le miroir d’une société qui subit, au XIXe siècle, la décadence et la
corruption bouleversant les mœurs et les mentalités. Premièrement, le narrateur
n’hésite pas à marquer les méfaits et de la sexualité en affirmant que
« Muffat avait conscience de sa défaite, il la savait stupide, ordurière
et menteuse, et il la voulait, même empoisonnée ». La vision péjorative de la femme est évidente mais notons également son
effet sur Muffat qui désormais voudra la posséder coûte que coûte : la
chute de la phrase accentue le pouvoir néfaste de la femme aux mœurs libérées.
Si « en trois mois, elle avait corrompu sa vie, il se sentait déjà gâté
jusqu’aux moelles par des ordures qu’il n’aurait pas soupçonnées »,
« tout allait pourrir en lui ». Le
vocabulaire de l’empoisonnement et de la putréfaction accentue la dégradation
d’un homme. Mais le texte prend alors une portée universelle en révélant
que l’Homme est soumis à des pulsions, des passions. La femme exerçant un
pouvoir sexuel ramène alors l’homme face à ces forces obscures.
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